La guerre du Biafra (1967-70)

A. L’ébranlement d’un puissant pays africain

 

 

Le territoire nigérian regroupe de nombreuses ethnies. Les trois principales sont les Haoussas musulmans au nord, les Yorubas au sud-ouest et les Ibos, chrétiens au sud est. Elles sont numériquement équivalentes. Des différences religieuses et culturelles importantes peuvent être relevées, ce qui peut accroître le risque de tensions, d’autant que les trois ethnies majoritaires se disputent le contrôle du pouvoir et des ressources naturelles. Ces dernières sont en effet inégalement distribuées : les Ibos, notamment, revendiquent les revenus provenant de l’exploitation des champs gaziers et pétrolifères découverts en 1956 et qui sont exploités par des compagnies occidentales. La partie sud-est du territoire regorge également de fer et de charbon. A la suite de deux coups d'État survenus en 1966, le gouvernement prend la décision de diviser le sud-est en trois régions pour réduire les risques de rébellion. Cette décision éloigne les Ibos de la mer et du pétrole. C’est l’événement déclencheur du conflit.

La Déclaration du 30 mai 1967 marque la sécession du sud-est, partie du territoire nigérian peuplé majoritairement d’Ibos (au moins 8 millions sur les 14 millions estimés). Le mouvement séparatiste a pour objectif la constitution d’un État indépendant. Plusieurs éléments le montrent : la délimitation d’un territoire (le Biafra), l’organisation d’un régime politique (une République dont l’exécutif est attribué à un Gouverneur militaire), l’existence d’« une nation souveraine et indépendante », la volonté de respecter les traités et engagements internationaux et d’intégrer le Commonwealth.

Mais, la réduction constante du territoire biafrais, entre mai 1967 et l’été 1969, prouve que l’offensive du général Ojukwu a été un échec (en raison, notamment, du déséquilibre des rapports de force et de puissants soutiens internationaux au gouvernement fédéral). La capitale biafraise a d’ailleurs changé à plusieurs reprises. En outre, les Biafrais se retrouvent isolés par un blocus et ont perdu, depuis la chute de Port-Harcourt en mai 1968, leur accès à la mer.

 

 

B. Une guerre civile de dimension internationale

 

 

La violence de la guerre est nourrie par l’exacerbation des tensions inter-ethniques et inter-régionales depuis le début des années 1960. Les combats semblent acharnés, comme le montrent le recours aux bombardements, l’ampleur des destructions et les opérations menées contre les civils - premières victimes du blocus décidé par les autorités fédérales, dont l’attitude « figée et intolérante » semble exclure toute possibilité de négociation. Des milliers d’enfants et d’adultes sont alors en proie à la famine ; cette situation est à l’origine d’initiatives fondatrices de l’action humanitaire occidentale. L’OUA (Organisation de l'Union Africaine) s’avère impuissante à imposer l’apaisement. En outre, l’intervention de puissances étrangères – l’ « aide militaire » - qui soutiennent l’un ou l’autre camp, contribue à radicaliser les positions et à nourrir les combats.

Le camp des «fédéraux», commandés par le général Gowon, chef de l’État nigérian, est soutenu par les deux superpuissances, le Royaume-Uni et la plupart des États africains.

En effet, beaucoup d'États africains condamnent les tentatives séparatistes et se montrent partisans de l’intangibilité des frontières – principe défendu par l’OUA dès sa création en 1963. La crainte de la reproduction de mouvements similaires, entraînant à terme le démantellement du continent, n’y est pas étrangère.

 

Plusieurs acteurs interviennent cependant en faveur des civils biafrais : les organisations internationales (l’UNICEF par exemple), humanitaires comme la Croix-Rouge, des associations (y compris confessionnelles - chrétiennes en l’occurrence), une partie de l’opinion publique occidentale (des manifestants). De façon générale, le conflit a entraîné une mobilisation sans précédent dans certains pays comme la France, conséquence de la médiatisation exceptionnelle de l’événement.

Les actions prennent diverses formes : distribution de nourriture grâce à un pont aérien, soins prodigués aux blessés et malades, manifestations en faveur de la paix.

 

C. Un drame humain couvert par les médias


Quatre éléments indiquent que la guerre du Biafra débouche sur un drame humain durable :

- le désespoir des populations (révélée au moment de - l’impossible – évacuation) ;

- la fuite éperdue des civils biafrais devant l’ennemi ;

- la mortalité (plusieurs milliers de morts par jour), notamment des enfants ;

- la détérioration du niveau de santé. 

 

L’opinion publique occidentale est confrontée à des photographies d’une rare violence : des visages aux traits creusés, le corps squelettique de très jeunes enfants peuvent émouvoir et susciter des réactions allant de la désapprobation à la manifestation, voire l’engagement.

 

La guerre du Biafra a ainsi inauguré les débuts de l’action humanitaire moderne, qui acquiert dès cette époque une reconnaissance et une visibilité nouvelles. Le lien existant entre l’ampleur des secours à apporter aux populations victimes de catastrophes et la réalité des moyens dont disposent ces organisations implique que les associations humanitaires n’agissent que partiellement et autant pour aider que pour alerter les opinions publiques ou les gouvernements. Organisations humanitaires et médias sont ainsi intimement liés car l’efficacité de l’aide initiée par les premières dépend étroitement de l’ampleur du relais donné à ces actions par les seconds.

 

PROBLEMATIQUE

 

- Comment le Nigeria bascule-t-il dans la guerre civile et quels sont les aspects de cette guerre civile ?

Il s’agit de montrer que le conflit n’était pas inévitable, mais que des contentieux anciens entre peuples et régions réunis par la colonisation britannique n’ont pas trouvé de solution d’équilibre dans la fédération née de la décolonisation. Après avoir tenté d’utiliser le pouvoir fédéral pour équilibrer le poids des Haoussas du Nord, les Ibos du Sud ont préféré tenter la sécession sous le nom de Biafra et se sont retrouvés isolés, encerclés, affamés puis vaincus.

 

- Pourquoi la guerre du Biafra intéresse-t-elle autant l’opinion internationale et les États du monde ?

La guerre du Biafra est le premier conflit africain massivement photographié et filmé, et la famine des Ibos est suffisamment longue pour que ses images marquent toutes les opinions publiques. Dans le même temps, les enjeux africains (maintien des frontières coloniales pour éviter des guerres civiles partout) et l’attrait des ressources du pétrole justifient les interventions publiques ou secrètes de pratiquement toutes les puissances régionales et mondiales.

 

· Exercices du manuel :

 

 Le premier grand conflit africain post colonial (p.138-139)

 

1.Le Nigeria est 10 à 20 fois plus peuplé que ses voisins.

Le nord est majoritairement Haoussa, musulman et dénué de ressources. Le sud est majoritairement Ibo, catholique et dispose de ressources pétrolières.

Le découpage administratif de 1967 est inacceptable pour les Ibos car il les sépare des ressources pétrolières.

 

2. Les Ibos se forment au contact des colons tandis que les Haoussas restent fermés sur leur identité.

Tous les témoignages concordent pour dire que lors de l’indépendance du pays (Nigéria),  les Ibos en tant que groupe ont massivement investis les opportunités liées à la colonisation (éducation, formation, commerce, voyage, administration) et que, de ce fait, ils pouvaient apparaître aux yeux des autres parties de la population comme des « successeurs » de la colonisation.

 

3. Les Haoussas, musulmans, rejettent les Ibos, chrétiens, hors des murs de leurs villes. Ils les jalousent pour leur réussite et les soupçonnent d’aspirer à la domination du territoire nigérian.

La pratique d’interdiction de séjour des non-musulmans dans les villes Haoussas est antérieure à la colonisation. Avec celle-ci et le développement des échanges internes à la colonie et vers l’extérieur de la colonie, les effectifs des « interdits de résidence » se sont accrus considérablement et de véritables quartiers « non-musulmans » se sont constitués aux portes des villes. En tant que tels, ils seront en 1966 des cibles facilement identifiables lors des pogroms anti-Ibos.

 

4. Des massacres anti-Ibos en 1966, puis un coup d’Etat pro-Haoussa en 1966, et enfin le projet de redécoupage administratif au détriment des Ibos aboutissent à la sécession du Biafra.

Les luttes de pouvoir entre factions de l’armée, dans les années qui suivent l’indépendance, prennent une tournure violente à partir de janvier 1966 et relaient les tensions inter-régionales et inter-ethniques qui explosent dans le pays. C’est parce que les Ibos perdent définitivement espoir de contrôler le pouvoir central qu’ils se replient sur la sécession. Cette solution n’était pas du tout envisagée à l’origine des troubles.

 

5. Les troupes fédérales sont équipées d’armements et de camions modernes tandis que les troupes du Biafra ont peu de moyens de transport et des armes de circonstance.

Le Gouvernement fédéral récupère, dès le début du conflit, l’essentiel de l’appareil militaire nigérian, et dispose ensuite d’une aide militaire extérieure bien supérieure à celle du Biafra.

 

6. Le blocus provoque la famine au Biafra mais également la mort, à cause de maladies normalement anodines ou facilement soignables.

On estime qu’environ 2 millions de personnes sur 13 à 14 millions d’habitants ont péri du fait des famines et maladies provoquées par le blocus. Les plus fragiles dans la population étaient les réfugiés du nord, qui avaient fui en 1966 les pogroms anti-Ibos, et se retrouvaient au Biafra sans terres à cultiver, sans ressources, dans des camps qu'aucune aide internationale n’atteignait plus.

 

Des enjeux africains et mondiaux (p.140-141)

 

1. États-Unis et URSS soutiennent le régime fédéral, tandis que la Chine communiste s’oppose à l’URSS en soutenant le Biafra.

Bien des raisons différentes déterminent le choix diplomatique des puissances mondiales et régionales.

- Les États-Unis font le choix de la raison du plus fort et de la fidélité à l’alliance britannique, laquelle soutient le régime fédéral qu’elle a mis en place lors de l’indépendance.

- L’URSS soutient le gouvernement fédéral parce qu’elle espère mettre pied dans ce géant de l’Afrique.

- La France soutient la sécession par intérêt pétrolier, mais discrètement pour ne pas indisposer ses alliés américains et surtout britanniques.

- La Chine soutient le Biafra car elle montre son opposition à l’URSS et espère pouvoir s’installer au Nigéria en cas de succès de la sécession.

- L’Inde soutient le régime fédéral par principe car elle-même connaît une situation de diversité proche de celle du Nigeria.

- L’Egypte soutient le gouvernement fédéral au nom de l’islam, de la cause panafricaine et du tiers-mondisme.

- L’Afrique du Sud soutient le Biafra car elle est au ban des nations africaines à cause de l’Apartheid et que remettre en cause l’ordre post-colonial pourrait réduire l’unité anti-Afrique du Sud du continent.

- Le Portugal soutient le Biafra car il est en pleine guerre au Mozambique et en Angola, et que lui aussi voudrait briser l’unité africaine contre lui.

- L’Irlande soutient le Biafra car une bonne partie du clergé catholique du Biafra est Irlandais ou formé par des Irlandais et parce qu’elle reconnaît une identité dans la lutte de cette petite région catholique dans un ensemble hostile avec sa propre lutte d’indépendance face au Royaume-Uni.

 

2. C'est la première charte à vocation universelle tandis que la seconde concerne le continent africain.

Les deux textes reconnaissent la souveraineté et l’égalité des États membres, l’intégrité territoriale et la non-ingérence. Pour ces trois motifs, les deux chartes s’opposent à la sécession biafraise.

L’intégrité des territoires est plus qu’un principe de droit dans l’Afrique post-coloniale. Constituée d'États dessinés par les puissances coloniales, l’Afrique est menacée d’éclatement et de guerres interminables si droit devait être fait à toutes les revendications d’indépendance et de sécession liées à des motifs ethniques, culturels ou religieux.

 

3. Le texte inventorie les armements (avions) et les hommes (27 000) qui servent du côté fédéral.

Du côté sécessionniste, personne ne conteste la différence d’équipement, puisque l’art même de la guerre est déterminé par cette différence : la « guérilla » est en effet la guerre que le faible mène au fort.

 

4. Les sécessionnistes espèrent empêcher les Fédéraux de profiter des ressources du pétrole pour financer leur effort de guerre, et obtenir ainsi, à la longue, leur épuisement financier.

Isolé, le Biafra ne peut profiter des ressources pétrolières. Par contre, par du sabotage et des opérations « coup de poing », il peut interdire que ce pétrole soit exploité au profit de la Fédération du Nigeria. Si celle-ci reprend le contrôle de Port-Harcourt dès janvier 1968, il faut en effet attendre l’année suivante pour que la zone soit sécurisée et que les installations soient remises en état de fonctionner.

 

5. Le Gouvernement nigérian s’oppose à la Croix-Rouge d’abord par des prétextes, puis en tirant sur les avions de la Croix-Rouge, enfin en s’emparant des moyens de transport et des stocks de nourriture.

Les statuts de la Croix-Rouge la contraignent à n’agir qu’avec l’agrément des Gouvernements reconnus. Dans le cas du Biafra, elle se trouve piégée par une situation où un Gouvernement ne souhaite pas secourir sa propre population.

 

6. Cette affiche met en avant la silhouette d’un enfant victime de la famine pour exiger l’intervention de l’opinion publique et des gouvernements.

Cette affiche est diffusée en France par le Comité France-Biafra, constitué par des médecins de la Croix-Rouge et des journalistes de retour du Biafra. Ces médecins violent donc le serment de secret qu’ils avaient passé en étant recruté par la Croix-Rouge et inventent ce qui va devenir le « droit d’ingérence ». C’est à partir de ce Comité que sera crée en 1971 l'ONG « Médecins sans Frontières ».

 

· S’entraîner à la 2e partie de l’épreuve du Bac :

 

L’attitude des autorités françaises (p. 143)

 

1. La France soutient le Biafra en envoyant quelques armes, quelques vivres, quelques équipes médicales, mais le tout est bien insuffisant.

2. La France craint les réactions du Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale au Nigeria, encore très implantée et très proche du pouvoir fédéral de Lagos.

3. Les États africains limitrophes du Nigeria et la plupart des autres sont effrayés par une extension des revendications sécessionnistes. Une trop grande implication française aux côtés des Biafrais pourrait donc faire perdre à la France des positions en Afrique Noire.

4. En 1969, pour des raisons militaires et diplomatiques, la France doit choisir entre son soutien au Biafra, ex-territoire britannique, et une intervention au Tchad, ancienne colonie française. Elle décide donc de respecter la répartition des influences issue de l’époque coloniale.

 

Y a-t-il eu ou non génocide au Biafra ? (p. 144-145)

 

1. Le gouvernement fédéral nigérian empêche les mesures d’aide alimentaire mises en place par la Croix-Rouge.

2. Le gouvernement fédéral nigérian préfère affamer son adversaire pour le faire céder car il n’y est pas parvenu par des combats classiques.

3. Le gouvernement biafrais engage une agence de communication suisse et organise des voyages de journalistes dans les camps de réfugiés pour sensibiliser l’opinion mondiale. Le développement récent de matériel léger de prise de vue permet de rendre cette opération très facile.

4. Il utilise systématiquement le terme de « génocide », fortement connoté en Occident et juridiquement contraignant pour les États aux termes des textes de l’ONU. Il s’agit d’agir sur les opinions pour que les gouvernements reconnaissent le Biafra et lui apportent l’aide nécessaire en matériel militaire.

5. D’un côté, l’intention criminelle est avérée puisque le gouvernement cherche à tuer des populations civiles. Mais d’une part, il ne s’agit pas d’un objectif en soit, puisque l’embargo cesse dès la fin du conflit et les populations sont immédiatement secourues. Et d’autre part, il semble que pour une part il y ait eu mise en scène de cette famine par le gouvernement biafrais.

 

L’enjeu pétrolier au Biafra (p. 147)

 

1. Le pétrole extrait du Biafra représente les 5/6 du pétrole nigérian total.

2. Poussée par l’opinion publique américaine, Shell-BP semble, dans un premier temps, plus favorable à la partie chrétienne du conflit, le Biafra, contre la partie musulmane, la fédération nigériane dominée par les Haoussas du nord.

3. Les compagnies pensent qu’un petit État exclusivement pétrolier sera plus facile à contrôler qu’une puissance régionale devant assurer la subsistance de dizaines de millions de citoyens.

4. Les compagnies pétrolières cherchent à se positionner sur le pétrole biafrais/nigérian, mais également sur le pétrole de l’ensemble du continent. Pour cette raison, elles comprennent rapidement que soutenir le Biafra c’est se fermer l’accès au reste du continent, massivement favorable au Nigeria.

 

 

 

 

 

 

 

Le premier grand conflit africain post-colonial :

 

Au début des années 1960, l’Afrique accède massivement à l’indépendance. Fort de sa population et de ses ressources, le Nigeria apparaît comme une puissance en devenir. Mais comme un certain nombre d'États africains issus de la colonisation, le Nigeria est une mosaïque culturelle, ethnique et religieuse. A partir de 1966, de violents troubles opposent d’une part les « Nordistes » Haoussas, musulmans et peu influencés par le régime colonial et d’autre part les « Sudistes » Ibos, convertis au catholicisme et très éduqués. L’année suivante, constatant la mainmise des Haoussas sur le pouvoir fédéral, les Ibos proclament la sécession de leur province, le Biafra. Pendant 30 mois, la guerre entre « Sécessionnistes » et « Fédéralistes » prend la forme d’un blocus du Biafra par les forces fédérales. Coupé du monde, le Biafra subit une famine terrible qui coûte la vie à 2 millions de personnes.

 

Des enjeux africains et mondiaux :

 

Effrayés par la perspective de guerres de sécessions interminables, les régimes africains (à part quelques exceptions) soutiennent massivement le gouvernement fédéral. En dehors du continent, les prises de position sont davantage liées à des préoccupations géopolitiques. Les deux super-puissances et les puissances moyennes cherchent à bien se placer pour peser sur le destin régional et profiter des ressources en pétrole du pays. Cependant, la famine médiatisée qui ravage le Biafra provoque également l’émergence d’un nouvel acteur : l’opinion publique internationale. L’émotion internationale est en effet si vive qu’elle bouscule les modes de médiation et d’intervention humanitaires classiques. A côté des œuvres caritatives et de la Croix-Rouge, tenue par ses statuts au devoir de réserve, apparaît un nouveau type d’intervention, ''l’humanitaire militant'', qui donne naissance aux organisations modernes.

 

 

Synthèse

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