Compléments sur "la mondialisation"

Quels pays en développement ?

 

Du tiers monde aux PED (pays en développement), en passant par les PVD (pays en voie de développement), les termes ne manquent pas pour qualifier cet ensemble qui accueille plus des trois quarts de la population mondiale.

En 1964, la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) voit l'émergence d'un bloc du Sud avec le Groupe des 77 (qui regroupe 133 pays aujourd'hui), groupe qui oeuvrera pour un Nouvel ordre économique international (NOEI)au cours des années 60 et 70.
Aujourd'hui les pays en développement constituent un groupe de plus en plus hétérogène : les écarts de revenu y sont considérables, et la convergence d'intérêts toute relative.

 

Un groupe de pays hétérogènes

"Le tiers monde du début du XXIème siècle offre une vision contrastée entre, d'une part, des pays émergents, au sommet de l'échelle en termes de revenus, mais à la merci des fluctuations erratiques des capitaux privés, donc marqués par le poids de crises financières récurrentes (Asie de l'Est et Amérique latine émergente surtout), d'autre part, des pays très pauvres au contraire, situés tout en bas de l'échelle en termes de revenus, (PNB inférieur à 900 dollars par an), qui sont d'autant plus vulnérables qu'ils dépendent de mono-exportations de matières premières et d'une aide publique au développement de plus en plus chichement accordée (Afrique subsaharienne surtout). Entre les deux, un ensemple fourre-tout et hétéroclite de pays dits à revenus intermédiaires regroupe à la fois des pays importateurs de pétrole (Côte d'Ivoire) et des pays exportateurs (Congo), des pays géants (Nigéria) et des micro-Etats (ceux du Pacifique par exemple), des pays qui sont sur le point d'entrer dans le clan des pays émergents (Indonésie) et d'autres au contraire qui sont tirés vers le bas en raison de dysfonctionnements politiques graves (Zimbabwe, Argentine)," selon Sylvie Brunel

Source : Cahiers français, Développement et mondialisation, n° 310, sept-octobre 2002

Les pays émergents eux-mêmes, recouvrent des situations très différentes comme le rappelle Rubens Ricupero, Secrétaire général de la CNUCED, dans le Rapport sur le commerce et le développement 2003 : "Entre 1960 et 1973, l’Amérique latine et l’Asie de l’Est ont enregistré un taux de croissance relativement semblable et en 1973 les quatre nouveaux pays industriels (NPI) de la première vague avaient un revenu moyen par habitant inférieur de 850 dollars à celui des cinq plus grands pays d’Amérique latine. Après cette date, l’évolution de ces deux groupes de pays a commencé à être divergente, le taux de croissance en Asie de l’Est étant plus du double du taux moyen enregistré en Amérique latine entre 1974 et 2000. En outre, ce ralentissement est allé de pair avec une instabilité croissante en Amérique latine : dans la plupart des pays de la région, la croissance a été plus lente et moins stable pendant la période 1980-2000 que pendant les deux décennies précédentes."

 

La fracture Nord-Sud

Cependant, quelque soient leurs différences, la césure entre pays du Nord et pays du Sud reste bien réelle et l'écart de revenu entre le groupe des pays riches et celui des pays pauvres est plus important aujourd'hui qu'en 1975. Car, si on assiste à une réduction globale de l'écart de revenus entre pays développés et l'ensemble des pays dits "en développement", le rapport du revenu par habitant des quinze pays les plus riches et celui des quinze pays les plus pauvres de la planète est passé, lui, de 11,6 en 1960 à 46,2 en 2001.
Cette fracture a même repris de l'importance avec la montée des mouvements altermondialistes, et la tentative de constitution de front des pays du Sud au sein de l'OMC (Organisation mondiale du commerce).
C'est en particulier la leçon de l'échec de la 5ème conférence ministérielle de l'OMC à Cancun en septembre 2003, avec la constitution du Groupe des 22, regroupant vingt-deux pays émergents, conduits par le Brésil, la Chine et l'Inde, et celle du Groupe des 90, coalition rassemblant les PMA (pays les moins avancés), les pays de l'Union africaine et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).
Les crises financières de la fin de la décennie 90, qui ont secoué certains PED parmi les plus avancés, Thaïlande, Turquie, Argentine, Brésil, d'un côté et la crise de la dette qui n'en finit pas de miner l'économie des plus pauvres, ont contribué à l'émergence de critiques très virulentes des institutions financières internationales, par les gouvernants des pays du Sud.

 

Un fossé qui se creuse avec les pays les plus pauvres

"On estime à environ 2,9 milliards le nombre de personnes sur terre vivant avec moins de 2 dollars par jour. Plus inquiétant encore, 1,2 milliard d'entre elles survivraient avec moins de 1 dollar par jour. L'Afrique est, en valeur relative, le continent le plus concerné puisqu'un Africain sur deux n'atteint pas ce seuil. Mais d'autres zones géographiques sont également très touchées. Ainsi, en Asie de l'Est, 880 millions d'hommes et de femmes reçoivent moins de 1 dollar par jour. En Asie du Sud, ce sont près de 500 millions de personnes qui vivent en situation de dénuement absolu. En Europe centrale et orientale, les chiffres se sont considérablement détériorés depuis 1990 puisque le pourcentage de la population ayant moins d'un dollar par jour pour subsister était de 8% à l'époque contre 20% en 1999.
Le fossé entre les pays industrialisés et les pays en développement ne cesse de se creuser. Un pays comme la Suisse a aujourd'hui un PIB par habitant 400 fois supérieur à celui de l'Ethiopie et 115 fois supérieur à celui de l'Inde."

Source : Klause Werner Jonas, Améliorer les perspectives des PED, Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, document 10013, 10 décembre 2003

 

Les pays émergents

Un temps dénommés nouveaux pays industrialisés (NPI), puis qualifiés de "pays émergents", ils recouvrent une vingtaine de pays dont le développement s'est accéléré dans la dernière décennie et qui revendiquent une meilleure représentation dans les instances financières internationales. Le BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) désigne les quatre grands pays émergents qui jouent déjà un rôle de premier plan dans l'économie mondiale.

 

 

Des économies émergentes aux puissances émergentes (François Lafargue)* 

 

L’expression « pays émergents » est fréquemment employée pour désigner les nouvelles grandes puissances économiques à l’échelle mondiale, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.
Elle demeure pourtant équivoque. Quels sont véritablement les pays émergents et comment contribuent-ils à construire le nouveau monde multipolaire du xxi e siècle ?
 

 

* François Lafargue est docteur en géopolitique et docteur en science politique. Il est professeur de géopolitique à l’ESG Management School et enseigne également à l’École centrale de Paris.
Le terme d’économie émergente est aujourd’hui galvaudé et peu précis, à l’instar des expressions « sud » ou « tiers-monde ». L’économiste Antoine Van Agtmael revendique la paternité de l’expression « marchés émergents » qu’il a utilisée dès 1981 pour désigner certaines économies du tiers-monde alors en phase de développement avancé. En 2001, Jim O’Neill, économiste de la banque Goldman Sachs, parle du groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) pour désigner parmi les pays émergents quatre économies prometteuses. Plus récemment, Michael Geoghegan invente en 2010 l’acronyme de CIVETS pour désigner le groupe constitué par la Colombie, l’Indonésie, le Vietnam, l’Égypte, la Turquie et l’Afrique du Sud.
Si les pays à revenu intermédiaire (PRI) et les pays les moins avancés (PMA) 1 font l’objet d’une définition précise de la part des institutions politiques et financières internationales, celles-ci ne s’accordent pas sur la notion de « pays émergent ». Très fréquemment seuls les critères économiques ou financiers sont pris en consi- dération. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) distingue ainsi une vingtaine d’économies émergentes 2 dont les principales caractéristiques sont : une forte contribution à la croissance économique mondiale, une amélioration des conditions de vie de la population – qui se traduit par une hausse de certains indicateurs tels que le produit intérieur brut (PIB) par habitant ou l’indice de développement humain – et une participation active aux échanges internationaux. D’autres observateurs 3 soulignent pourtant la nécessité de distinguer les « économies émergentes » des « puissances émergentes ». Ce dernier qualificatif est plus restrictif et ne concerne que quelques États, appelés à exercer un rôle de premier plan dans les affaires internationales, de par leur poids économique et démographique, mais aussi leur capacité militaire et leur influence diplomatique.

 
1 La Banque mondiale distingue, parmi les économies en développement, les pays les moins avancés (PMA), où le revenu annuel par habitant est inférieur ou égal à 995 dollars, les pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure, où le revenu annuel par habitant s’établit entre 996 dollars et 3 945 dollars, et ceux de tranche supérieure (3 946 dollars à 12 195 dollars).
2 Leséconomiesémergentesrecenséesparl’OCDEsontl’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, la Hongrie, l’Inde, l’Indonésie, l’Iran, la Malaisie, le Mexique, le Pérou, les Philippines, la Pologne, la République tchèque, la Thaïlande et la Turquie (voir graphique p. 103).
3 ChristopheJaffrelot(dir.),L’Enjeumondial.Lespaysémergents, Presses de Sciences Po et L’Express, Paris, 2008.
 

 

Économie émergente : quelle définition ?

 
Des critères d’appréciation très divers

 
Plusieurs critères permettent de définir une économie émergente.

 
● Une progression de son commerce extérieur supérieure à celle des échanges internationaux. La part de la Chine dans le commerce international est passée de 3,65% en 2000 à 9,6% en 2009,ce qui représente en valeur une augmentation de 380 % 4. Pendant cette même période, les échanges internationaux ont été multipliés par deux. Ce dynamisme commercial permet à ces États d’accumuler des réserves de change indispensables à l’acquisition de technologies et de biens de consommation à l’étranger. En juin 2010, la Chine, la Russie, Taïwan, l’Inde et le Brésil figuraient parmi les premiers détenteurs de réserves en devises. Le montant des réserves de la Russie et du Brésil est comparable à celui détenu par l’ensemble des États de la zone euro.
 

 

● Une hausse régulière du PIB et du revenu par habitant. En 1990, le Brésil, la Chine, l’Inde, la Russie et l’Afrique du Sud représentaient 8,4 % de la richesse mondiale. Cette part s’établit désor- mais à 16 % contre 24 % pour les États-Unis et 27 % pour l’Union européenne. Avec un taux de croissance annuel de 8 %, le PIB de l’Inde devrait dépasser celui de la France dès la fin de la décennie 2010. Depuis 2000, le revenu par habitant en Chine a été multiplié par quatre, par trois au Brésil et en Inde. La croissance économique dans les pays émergents est soutenue par les exportations de biens de consommation (Chine), de matières premières agricoles (30 % des exportations du Brésil) ou d’hydrocarbures (Russie).
L’Inde est dans une situation particulière, puisque sa place dans le commerce mondial reste faible, avec 1,3 % des exportations mondiales contre 9,6 % pour la Chine. La croissance est princi- palement due à l’augmentation des exportations de services – l’Inde est le premier exportateur mondial de logiciels, de progiciels et de services de traite- ment de données – et à la hausse des revenus dans les campagnes grâce aux progrès agronomiques.
 

 

● La présence de capitaux étrangers placés sur une longue durée. Parmi les économies en développement, les principaux récipiendaires des investissements directs étrangers (IDE) sont la Chine, le Brésil, le Mexique, la Russie, l’Inde, l’Arabie saoudite et l’Afrique du Sud. En 1990, ces sept économies ne recueillaient que 5,3 % du montant des investissements étrangers placés dans le monde 5. Cette proportion s’établit désormais à 10,5 %. Le montant des IDE investis dans ces sept pays (1 870 milliards de dollars en 2010) atteint 60 % du montant des capitaux placés aux États- Unis. Les premiers investisseurs en Chine comme en Inde sont issus des communautés nationales vivant à l’étranger. Ainsi Hong Kong, Taïwan et Singapour détiennent 60 % des IDE en Chine, contre 9 % pour les États-Unis. Ces capitaux sont placés non dans un but spéculatif, mais pour mener des projets de développement à long terme.

 

● Des entreprises de taille mondiale implan- tées dans plusieurs pays et dont le capital est en majorité, ou en partie, détenu par des action- naires privés. Parmi les 500 premières entre- prises mondiales classées selon leur capitalisation figurent déjà de nombreuses sociétés chinoises (comme Petrochina et la China National Petroleum Corporation), indiennes (Reliance, Oil and Natural Gas Corporation) et brésiliennes (Petrobras, Vale). Ces entreprises développent leurs activités à l’étranger. Ainsi, pour la première fois, les capitaux brésiliens placés à l’étranger ont été en 2008 d’un montant supérieur à ceux venus de l’étranger et accueillis dans le pays. La Chine a été en 2009 le cinquième investisseur mondial, ses inves- tissements se concentrant pour les deux tiers en Asie. Entre 2000 et 2009, le montant du stock des investissements directs à l’étranger du Brésil, de la Chine, de l’Inde et de la Russie a été multiplié par sept.
Ces investissements concernent tous les secteurs d’activité économique : la construction automobile – avec les achats des constructeurs automobile Jaguar par l’indien Tata et Volvo par le chinois Geely –, l’agroalimentaire – le brésilien

 

4 Donnéesdel’Organisationmondialeducommerce,Statistiques du commerce international, 20105 Données de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
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Les pays émergents selon... FMI / OCDE


JBS, qui est le premier producteur et transformateur au monde de viande de bœuf, a notamment pris le contrôle de plusieurs de ses concurrents en Europe et aux États-Unis –, les hydrocarbures – rachat par des entreprises chinoises du canadien Addax Petroleum et de l’argentin Bridas. Il s’agit également de prises de participation par le biais de fonds d’investissement privés ou publics. L’État chinois à travers l’agence publique State Administration of Foreign Exchange, gestionnaire de ses réserves de change, détient 1,6 % du capital de Total et 1,1 % de celui de British Petroleum. Le russe Digital Sky Technologies a pris des participations dans de nombreuses sociétés informatiques comme la messagerie ICQ ou le réseau social Facebook.


● Une économie diversifiée qui ne repose pas seulement sur l’exportation de matières premières. Ce critère pourrait a priori éliminer la Russie, dont 70 % des exportations sont consti- tuées par les hydrocarbures et les produits miniers. Or, depuis la fin des années 1990, l’économie russe a connu une profonde évolution avec une progression des activités du secteur tertiaire (qui assurent 60,5 % du PIB) qui a favorisé l’apparition d’une classe moyenne. Le taux d’équipement des ménages en véhicules particuliers a été multiplié par deux depuis 2000.


 Une économie émergente offre des perspectives prometteuses grâce à son dynamisme démographique et au nombre croissant de consommateurs. La seule augmentation annuelle de la population en Chine, en Inde et au Brésil (460 millions en 2008) correspond à la population de l’ensemble des pays de l’Union européenne. En 2009, la Chine est devenue le premier marché automobile mondial devant les États-Unis, avec la commercialisation de 13 millions de véhicules particuliers neufs. Cette même année, 100 millions de téléphones mobiles se sont vendus en Inde, soit trois par seconde. Les marges de progression sont importantes puisque, en mai 2010, seulement la moitié des Indiens disposaient d’un téléphone cellulaire et 1,6 % d’un véhicule – contre, respec- tivement, 95 % et 59,8 % en France.
Les marchés émergents intéressent vivement les entreprises occidentales. Le constructeur automobile français PSA réalise déjà 16 % de ses ventes en Amérique latine et en Chine. La Chine est l’un des premiers marchés pour LVMH ou Michelin. Danone compte déjà autant de salariés en France qu’en Chine. L’excédent commercial structurel de l’Allemagne s’explique principale- ment par le volume de ses exportations vers les pays émergents. La Chine et la Russie achètent 8 % des exportations allemandes, soit en valeur cinq fois plus que la France.
En 2050, l’Indonésie devrait compter environ 345 millions d’habitants et le Brésil 215 millions. Néanmoins, une forte population n’est pas en soi un critère suffisant pour être qualifié d’économie émergente. Le Nigeria comme l’Éthiopie – qui, en 2050, seront sans doute respectivement au sixième et au neuvième rangs des pays les plus peuplés au monde 6 – ne peuvent pas être classés dans cette catégorie, à cause de leur très grand retard économique – le revenu par habitant en Éthiopie est quatre fois inférieur à celui de l’Inde. De même, ni l’Argentine ni l’Arabie saoudite, qui sont pourtant membres du G20 mais dont le poids démographique est très faible, ne peuvent être qualifiées d’économie émergente.

Enfin, l’adhésion à une zone de libre-échange ou à une union douanière constitue un atout pour l’investisseur étranger. Le Brésil, avec le Marché commun du Sud (Mercosur), et l’Afrique du Sud, avec la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), offrent un vaste marché aux entrepreneurs présents sur leur sol.


● L’optimisme envers l’avenir et l’enthousiasme porté par leur jeunesse sont également des traits culturels de ces sociétés. En Inde, le tiers de la population a moins de 15 ans. À la diffé- rence du sentiment qui règne en Europe de l’Ouest, les jeunes générations sont convaincues que leur vie sera meilleure que celle de leurs aînés. Cette confiance est souvent confortée par un dessein politique. Pour la Chine, il s’agit de renouer avec l’époque où l’empire des Ming était la première économie du monde et de mettre aussi un terme à l’humiliation subie à partir du milieu du xixe siècle, avec les guerres de l’Opium, puis l’occupation par les armées européenne et japonaise. Pour l’Afrique du Sud, les élites noires poursuivent leur rêve de fonder une société débarrassée des oripeaux de la ségrégation raciale, et qui serait un modèle pour l’ensemble du continent africain.


Économies émergentes et marchés potentiels


Ces critères permettent de distinguer deux catégories de pays émergents. Le Brésil, la Chine, l’Inde répondent sans conteste aux critères principaux et peuvent être qualifiés d’économies émergentes. La Russie peut également entrer dans cette première catégorie, mais de manière plus discutable. Grâce à la hausse des cours du pétrole, le PIB de la Russie a été multiplié par dix depuis 2000, assurant au Russe moyen un revenu
supérieur de 60 % à celui d’un Brésilien. Mais, en dépit de certaines mesures natalistes prises par le président Dmitri Medvedev, le déclin démogra- phique du pays se poursuit, puisque la population de la Russie est passée, depuis 1990, de 148 à 142 millions d’habitants. À ce rythme, elle devrait s’établir autour de 100 millions vers 2050.
Les économies émergentes se caractérisent toutes par leur forte dépendance commerciale à l’égard des États-Unis, de l’Union européenne et du Japon. Ces trois ensembles économiques absorbent la moitié des exportations du Brésil, de la Chine et de la Russie. Les échanges commerciaux entre pays émergents restent encore limités, à cause de leur faible complémentarité – l’Inde ne représente ainsi que 1,4 % du commerce de la Russie. Seule la Chine fait figure d’exception, puisqu’elle est, après l’Union européenne, le deuxième partenaire commercial de la Russie, de l’Inde et du Brésil, qui est aussi l’un de ses principaux fournisseurs de matières premières agricoles – soja, viandes de bœuf, volailles...
Le Mexique, l’Afrique du Sud, l’Indonésie, la Turquie ou encore la Thaïlande peuvent être consi- dérés comme de potentiels marchés émergents, mais sous certaines conditions. Le Mexique doit davantage diversifier son économie, car la quasi- totalité des exportations reste constituée par les hydrocarbures et des produits manufacturés à faible valeur ajoutée. La situation de l’Afrique du Sud est plus ambiguë. L’abrogation des lois d’apartheid puis l’instauration de la démocratie ont permis l’apparition d’une classe moyenne noire 7. Mais l’économie repose toujours sur l’extraction des matières premières minières, et la fragilité des institutions démocratiques comme l’ampleur de l’épidémie de sida compromettent l’avenir du pays.
Pour de nombreux autres États, il est préma- turé de parler de « marché émergent » pour des raisons d’instabilité politique (Pakistan, Égypte) ou à cause de la faiblesse de leur population et, partant, de la taille limitée de leur demande intérieure solvable (Taïwan).


6 Gilles Pison, « Tous les pays du monde (2009) », Population et sociétés, no 458, INED, juillet-août 2009. 7 À propos de l’évolution de l’Afrique du Sud, voir F. Lafargue, « Afrique du Sud : une démocratie entre amertume et espoirs », Questions internationales, no 35, janvier-février 2009, pp. 103-111.
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De la puissance économique à l’influence politique

 

Consolider le statut de puissance émergente


Plusieurs défis doivent être relevés pour justifier, du point de vue économique, l’appellation de puissances émergentes attribuée aux BRIC. Les économies émergentes sont parvenues à former une élite scientifique de haut niveau, mais qui, pour le moment, choisit fréquemment de partir en Occident, plus particulièrement aux États-Unis qui offrent l’environnement le plus propice à l’entreprenariat. Une grande partie des innovations dans la Silicon Valley en Californie sont d’ailleurs à mettre au crédit d’ingénieurs ou de chercheurs étrangers comme les Indiens Sabeer Bhatia (cofondateur de Hotmail) et Arun Netravali (inventeur du format MPEG), le Chinois de Taïwan Jerry Yang (cofonda- teur de Yahoo) et le Russe Sergei Brin (cofondateur de Google). Un tiers des étudiants étrangers aux États-Unis sont originaires d’Inde, de Chine et de Taïwan.
L’enjeu pour ces puissances émergentes est d’encourager le retour de leur élite, afin de prendre une part plus active dans la recherche scientifique locale et de participer à la création d’écoles à l’excellence reconnue. Aujourd’hui, dans le classement des meilleures formations universitaires réalisé par l’université Jiao Tong de Shanghai, le premier établissement russe ne figure qu’au 74e rang. Et aucune université tant au Brésil qu’en Chine ou en Inde ne parvient à se classer avant le 100e rang.
La Chine est devenue en 2008 le cinquième dépositaire mondial de brevets après le Japon, les États-Unis, la Corée du Sud et l’Allemagne. Ces innovations permettront à ces entreprises d’imposer leur propre norme industrielle et de combler le retard avec l’Occident. En Russie, la majorité de la population adulte a suivi une formation dans l’enseignement supérieur contre une moyenne d’un quart dans les pays de l’OCDE.
L’autre priorité est d’offrir à l’investisseur étranger un environnement juridique rassurant. Or, selon les critères de la Banque mondiale 8, la facilité de mener des affaires – durée et complexité des démarches administratives, protection des investisseurs, exécution des contrats – classe l’Afrique du Sud au 34e rang mondial, la Chine au 79e, la Russie au 123e, le Brésil au 127e et l’Inde au 134e rang.


8 Rapport de la Banque mondiale et de la Société financière internationale, Doing Business 2011 : Agir pour les entrepreneurs, 2010.
0 1974
1984 1989 1994 1999 2004 2009
1979 Source : Banque mondiale, http://data.worldbank.org

L’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud défendent aussi une réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies et souhaitent disposer d’un siège de membre permanent. En 2005, l’Inde a été, avec l’Allemagne, le Brésil et le Japon, à l’origine d’une proposition destinée à élargir le Conseil de sécurité de quinze à vingt-cinq membres, en créant six nouveaux sièges de membres permanents – dont deux pour les pays du continent africain – et quatre sièges de membres non permanents. Mais cette initiative n’a pas suscité l’intérêt attendu.
De manière plus générale, les puissances émergentes rejettent la domination euro-américaine dans la gestion des affaires internationales. Le recours à la force, l’ingérence dans les affaires intérieures des États et, plus généralement, la défense de certaines valeurs universelles font l’objet de critiques régulières. Au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Afrique du Sud, qui siège comme membre non permanent (en 2007-2009 et depuis 2011), a ainsi été, avec la Chine, un soutien constant du président du Zimbabwe, Robert Mugabe. Le Brésil comme l’Inde, pourtant dotés d’institutions démocratiques, se sont parfois ralliés aux positions défendues par la Chine ou la Russie en se montrant par exemple réticents à sanctionner l’Iran pour son programme nucléaire. Ces quatre États se sont abstenus lors du vote de la résolution 1973 de mars 2011, qui autorisait l’intervention de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) contre le régime du colonel Kadhafi. Lors du sommet de Sanya, les BRICS ont vigoureusement critiqué le soutien apporté par les Occidentaux aux insurgés libyens.
Les BRICS ont par ailleurs engagé un effort soutenu de modernisation de leurs forces armées. Les budgets militaires de ces cinq pays représentent aujourd’hui 34 % de celui des États-Unis contre 26 % en 2000. Depuis 2005, le budget de la défense du Brésil a augmenté de 40 % et celui de l’Inde de 25 %. En 2012, l’Inde devrait achever la construc- tion de son premier sous-marin, lanceur de missiles à tête nucléaire. Le Brésil, après avoir acheté le porte-avions Foch à la France, souhaite moder- niser ses moyens aériens. L’armée de l’Afrique du Sud s’est également dotée de matériel récent avec l’acquisition de trois sous-marins, auprès de Thyssen, et d’avions de combat Gripen

 


S’affirmer comme acteur politique


Parmi les pays émergents, les membres du groupe BRIC ont donné une dimension institutionnelle à leur association, avec l’instauration d’un sommet annuel dont le premier s’est tenu en juin 2009 à Ekaterinbourg (Russie). Lors du 3e sommet du groupe BRIC réuni à Sanya en Chine en avril 2011, l’Afrique du Sud a été invitée à rejoindre cet ensemble devenu, dès lors, le « BRICS ». La participation de l’Afrique du Sud peut sembler moins légitime que celles d’écono- mies plus dynamiques comme la Turquie. Mais avec l’Afrique du Sud, le groupe BRICS repré- sente les cinq continents. Ces cinq États souhaitent définir des positions communes dans le domaine économique – à propos de la réforme du système financier international – et diplomatique.
Fortes de leur poids économique croissant, les puissances émergentes avaient obtenu l’assurance lors du G20 de Pittsburgh (septembre 2009) d’une plus juste représentation au sein des organisa- tions internationales. La Banque mondiale comme le Fonds monétaire international (FMI) ont entre- pris une réforme de leur statut, qui offre davantage de poids aux pays émergents. Le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine disposeront à partir de 2014 de 13,5 % des droits de vote au sein du FMI contre 8,98 % en 2010. Ce rééquilibrage permettra à la Chine d’être le 3e actionnaire de ces deux institutions, qui restent toutefois largement contrôlées par les nations occidentales (les États-Unis et l’Union européenne)


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aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies, afin d’obtenir une reconnaissance inter- nationale et, partant, légitimer leur participation au Conseil de sécurité. En 2011, l’Inde est l’un des tout premiers pourvoyeurs de casques bleus, 8 500 hommes étant déployés, principalement en Afrique, au Sahara occidental et au Soudan. Le Brésil comme l’Afrique du Sud s’engagent égale- ment activement dans la résolution des crises régio- nales. Le Brésil est ainsi le premier contributeur de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH).


Divergences d’intérêts et de méthodes au sein des BRICS


S’ils peuvent ponctuellement s’entendre pour défendre leurs intérêts, les pays émergents ne forment pas un tout cohérent. De nombreux sujets de discorde existent entre membres du groupe BRICS, à propos de la sous-évaluation du yuan, ou de la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU – la Chine ne souhaite pas son élargissement à l’Inde, et la Russie refuse de doter les nouveaux membres du Conseil de sécurité d’un droit de veto. Plusieurs contentieux frontaliers subsistent entre l’Inde et la Chine dans les régions du Cachemire et de l’Arunachal Pradesh. Le Brésil est également inquiet du soutien apporté par Pékin au Venezuela d’Hugo Chavez. Au sein de l’Organisation mondiale du commerce, les puissances émergentes ne partagent pas les mêmes intérêts. Ni la Russie, ni la Chine, ni l’Inde, dont les agricultures ne sont guère compétitives, n’ont rejoint le Brésil et l’Afrique du Sud dans le groupe de Cairns, dont les membres militent pour une libéralisation des échanges commerciaux agricoles. Enfin, une profonde asymétrie est à relever en faveur de la Chine, qui contribue à plus de la moitié du PIB des BRICS et assure près des deux tiers du commerce extérieur de cet ensemble. Les membres du BRICS sont davantage liés par une entente tactique que par une véritable alliance.
Les BRICS adoptent des stratégies divergentes pour peser sur la scène internationale. L’Inde et le Brésil, qui partagent une certaine proximité culturelle avec les États-Unis, souhaitent une évolution en leur faveur des institutions économiques et politiques internationales, en privilégiant la négociation. En 2008, l’Inde est parvenue à obtenir de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) un amendement au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Bien que n’ayant pas signé le TNP, l’Inde peut désor- mais faire l’acquisition de technologies civiles à l’étranger. En revanche, la Russie comme la Chine n’hésitent pas à engager un rapport de force avec l’Occident. La Russie, depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, utilise le gaz et le pétrole comme un instrument d’influence diploma- tique envers les anciennes républiques de l’URSS, mais également des pays de l’Union européenne. Elle a été l’un des principaux artisans de la création, en 2001, du Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG) qui pourrait, à terme, devenir une organisation mondiale du gaz, sur le modèle de l’Orga- nisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

La Chine conjugue pour sa part une diplomatie d’influence et l’usage de la force. Par ses aides et ses investissements – comme en faveur des pays les plus fragiles de la zone euro –, Pékin s’assure le soutien ou la bienveillance de plusieurs gouvernements. En parallèle, la Chine n’hésite pas à recourir à la force pour défendre ce qu’elle juge être du domaine de ses intérêts vitaux, comme sa souveraineté sur les îles Spratley et les Paracels. La marine chinoise arraisonne ainsi régulièrement des bâtiments étrangers accusés de violer ses eaux territoriales.

multipolaire, qui s’éloigne des valeurs occidentales. La Chine, la Russie, l’Inde et même le Brésil ne partagent pas, à des degrés divers, les normes démocratiques : droits syndicaux, respect des minorités, statut social des femmes, lutte contre les pratiques discriminatoires... Dès lors, le poids grandissant de ces États au sein des institutions internationales pourrait constituer un nouveau défi dans le combat pour le respect des droits humains fondamentaux. 

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